Didier Moreau, longtemps président du Club Ferrari France, vient de disparaître. En hommage à ce passionné, nous republions une interview réalisée en 2005.
À Maranello, on l'appelle "il dottore dei pazzi", le docteur des fous. Didier Moreau est psychiatre et il a dirigé pendant quinze ans le club Ferrari France : cette folie-là est aussi son remède.
Sport Auto : Racontez-nous tout, Docteur...Votre premier souvenir de voiture ?
Didier Moreau : "Le grand prix de Lyon 1947, qui se courait sur le boulevard de ceinture. Des Talbot, des Maserati et surtout la CTA Arsenal, si innovante à l'époque et qui n'a jamais pu démarrer. Louis Chiron a dû gagner, sur une Talbot. J'avais 12 ans'.
SA : Passion de famille ?
"Pas du tout. Mon père ne voulait pas entendre parler des voitures, ni que j'aille assister à des courses. Je suivais à la TSF. Surtout les 24 Heures du Mans, commentées par Georges Briquet puis Georges Fraichard. À six heures du matin, je rayais les abandons de la nuit, malheureusement, souvent des Ferrari.
SA : Ah ! Parce que vous étiez déjà passionné de Ferrari ?
"En 1950 ou 51, j'ai vu un grand prix à Aix-les-Bains, gagné par Fischer sur une Ferrari 500 F2. Cette grosse grille à l'avant, ces voitures qui gagnaient tout, avec Ascari, Villoresi, c'était un mythe... Mais j'étais très fasciné aussi par les Gordini à l'époque."
SA : Et vous-même, vous vous rêviez pilote ?
"J'en rêvais comme tout le monde peut en rêver. Je pensais bien que ce serait impossible. Pour un ou deux rallyes, j'ai été navigateur de Robert Gentilini, sur Alfa Giulietta. Je bavais devant les Ferrari châssis-long "Tour de France". Celle de Willy Mairesse, entre autres. Heureusement, j'avais un oncle qui avait une Triumph TR3 et, sans qu'il sache vraiment que je la conduisais, je la prenais de temps en temps. Avec cette voiture, j'ai pu faire, vers 1957 ou 1958, quelques courses de cote : Limonest-Montverdun, Mâcon-Solutré. Je m'étais acheté une Simca 1100 de 1939 décapotable, à quatre vitesses, vert clair, j'en étais très fier. Et ensuite les 2 CV Citroën, voitures de l'étudiant en médecine."
Une première Ferrari... à 36 ans !
SA : Frustré de ne pas piloter vous-même ?
"À ce moment-là, oui. Mais c'était hors de question financièrement. Quand je me suis payé ma première Ferrari, j'avais 36 ans. En 1971, une 330 GTC d'occasion, de 1967. Je me suis immédiatement inscrit au club Ferrari et c'est là que ma passion a explosé. À la première réunion, quand j'ai vu, garées dans un pré, quarante Ferrari et cinquante Bugatti, j'ai vu que je n'étais pas seul dans mon genre. Et j'ai compris que je n'allais pas garder longtemps la 330 GTC et que je me dirigerais vers une voiture de course, ce qui ne coûtait pas beaucoup plus cher à ce moment. La GTC est une excellente voiture de grand tourisme, mais j'ai fait quelques courses de club avec, et au bout de deux tours, il n'y avait plus de freins. La GTC, je l'avais payé 28 000 Francs. J'ai acheté ensuite une Berlinette 250 GT châssis-court, à coque acier, moins de 40 000 Francs. Côté pilotage, c'était déjà un progrès. Avec elle, j'ai fait des courses de cote puis j'ai décidé de m'acheter un vrai "piège". En Italie, j'ai trouvé la 250 GT châssis-court et à coque alu, celle d'Henry Oreiller. Que j'avais vu courir au Charbonnières..."
SA : À l'époque, ce n'est pas une passion hors de prix.
"Non. Une Berlinette coûtait le prix d'un haut-de-gamme français, d'une Citroën SM par exemple..."
SA : C'est quand même une attitude marginale. La décision de se priver de la voiture normale, bourgeoise...
"Tout à fait. Je m'étais payé la Berlinette, mais je n'avais qu'une 4L pour me rendre à la clinique. Ce qui explique que j'ai fait 100 000 km avec la Ferrari ! Je la prenais pour les vacances, pour les voyages, etc. Et puis les courses. J'ai gagné deux fois le rallye de Charbonnières et le premier Tour de France Auto historique, 1976. C'était très excitant. Au Tour, nous faisions le même parcours que les voitures modernes, 3500 ou 4000 km, par le Burzet, Entraigues, etc. Un copain me suivait avec un peu d'essence, et voilà. D'ailleurs, j'aurais pu faire toute la course avec le capot plombé, sans inconvénient... La voiture était parfaite. Elle était plus légère que ma première 250 GT, avec un moteur plus puissant. Les courses que j'ai pu gagner, c'était grâce à la voiture plus que par mon talent. Il y avait de meilleurs pilotes que moi, avec des Aston DB4 par exemple."
SA : Pendant tout ce temps-là, aucune autre marque ne vous a tenté ?
'Non. Un non catégorique. Bien sûr, une 250 GTO ou une 250 LM, que j'ai quelquefois conduites, je n'aurais pas dit non. Mais pas autre chose qu'une Ferrari. La 250 GTO est très peu différente. Elle est même relativement plus facile à conduire avec les six carburateurs et la boîte cinq vitesses, qui la rendent plus douce. C'est la 250 LM qui m'a fait la plus grosse impression"
Une Ferrari 375 MM pour voiture de rêve..
SA : Votre rêve de collectionneur, sans limite de prix ?
"Sans limite ? (Sourire) J'achèterais un coupé moteur avant des années 1953-1955, une 375 MM. Et puis une 250 Testa Rossa et, en moteur arrière, la 312 P à carrosserie fermée, celle de Pierre Bardinon. En fait, je n'ai jamais remplacé la Berlinette. J'ai acheté la F40 parce que je retrouvais un peu les mêmes sensations. Il n'y avait que deux places, le tableau de bord avec un compte-tours, point final."
SA : C'est la "moderne" qui vous a le plus impressionné ?
"Oui, ça n'a plus rien à voir, mais c'est une Berlinette vingt-cinq ans après. La première fois que Ferrari sortait une auto "clients" aussi pointue depuis une vingtaine d'années. La F40 était vraiment une voiture faite pour la course. Davantage que la F50, plus lourde, plus encombrante."
SA : Pour vous, le club est-il un complément essentiel à la possession d'une Ferrari ?
"Oui, et encore plus maintenant, étant donné qu'on ne peut plus rouler sur la route. On va cinq ou six fois par an sur les circuits, on s'amuse, on utilise sa voiture, il y a toujours une assistance de Pozzi (ndlr : le siège de Ferrari France, à Paris) et c'est une bonne école si l'on veut conduire sa Ferrari. Je suis arrivé au club en 1971 en tant que simple participant, mais je n'ai pas été trop long à y trouver quelques bons amis, avec lesquels nous avons formé une équipe, une bande de copains, qui dure toujours. J'ai été président de 1985 à 2000. J'organisais des sorties sympas, généralement le week-end : circuit le samedi et petite balade gastronomique le dimanche."
SA : Côté pilotage, vous encouragiez les gens à se prendre au jeu ?
"Oh oui ! Il y a eu des réunions saignantes avec des courses de berlinettes. Pour ne citer qu'Albert Uderzo, il est arrivé au club avec une Lamborghini Espada et une Ferrari BB. Puis il a été piqué, comme moi, et il a acheté ses voitures de course. Il y avait de bons pilotes. Cyril Grandet venait, qui faisait Le Mans avec une Daytona. Jean Blaton (ndlr, qui a longtemps couru sous le pseudonyme de Beurlys) est souvent venu aussi..."
SA : Des contacts avec l'étranger ?
"Bien sûr : Italie, Suisse, Belgique, etc. Mais j'ai toujours souhaité que chaque club national ait son identité. En France nous faisions des réunions conviviales, une cinquantaine de voitures. En Allemagne, ils font des réunions gigantesques et réussissent à aligner les voitures au cordeau, à les disposer pour composer les mots "bon anniversaire" ou autre. Nous, nous n'étions pas capables d'organiser ce genre de choses. Nous étions tous bénévoles. Nous avons essayé quelquefois de mettre trois Daytona ensemble, nous n'y sommes jamais arrivés (rire). Autre exemple, les "concours d'état". En Allemagne, en Angleterre, les clubs adorent ça ; aux États-Unis, n'en parlons même pas. Il y a même des chartes avec le nombre de points pour tel ou tel détail... Une tache d'huile sur la roue Borrani, c'est une catastrophe ! Personnellement, ça ne m'intéresse pas mais j'en ai organisé un ou deux, pour voir. Le bide complet. En France, c'était la balade, la bonne bouffe et les copains. Et la piste. Au Paul-Ricard, en 1987 ou 1988, nous avons eu le circuit pendant une heure, juste avant le grand prix de Formule 1, tribunes pleines. C'était avant le règne d'Ecclestone..."
Le phénomène Ferrari dépasse largement le problème de l'argent
SA : Est-ce qu'un club Ferrari n'a pas tendance à fonctionner comme un Rotary, très huppé ?
"Non, parce qu'il y a toujours des gens qui se sont saignés pour acheter leur Ferrari. Le phénomène Ferrari dépasse largement le problème de l'argent. C'est un mythe qui suscite toujours l'admiration. Par exemple, il n'y a pas de problème de vandalisme sur les Ferrari. Coup de clés, etc. Demandez à un chef d'atelier."
SA : A fortiori sur une ancienne.
"Oui, mais je crois que vous pouvez laisser une Enzo dans la rue sans qu'il se passe grand-chose."
SA : Quelles sont les relations entre les clubs et l'usine ?
"Toujours très bonnes. Jusque vers 1985, l'usine s'occupait peu de nous. Nous visitions Maranello une fois par an, mais nous étions parfaitement indépendants. Nous étions dépositaires du Cavallino, astreints à un certain bon goût, à ne pas faire de bêtises. C'était amusant : nous faisions des petits gadgets, des allumettes, etc. Aujourd'hui, c'est plus difficile. Les logos sont redessinés, tout est coiffé, l'usine lisse les différences entre clubs. On achète les blousons, les chemises, les casquettes à l'usine. Ils ont compris. C'est un business énorme."
SA : Cette dérive n'est-elle pas un peu exagérée ?
"Vous savez, pratiquement jusqu'à la mort d'Enzo, Ferrari ne touchait pas un centime sur les petits objets qui se vendent autour des circuits, Alors que Tyrrell et les autres avaient bien compris l'intérêt des casquettes... C'est un peu obsessionnel, c'est le collectionnisme. Un Japonais s'est construit un musée : 20 000 modèles réduits, une collection de papier incroyable et une réplique du restaurant Le Cavallino !"
SA : À une époque, le prix des autos était le grand sujet de conversation. Comment le viviez-vous ?
"Mal. On avait une belle voiture qui prenait de la valeur, tant mieux, mais ce n'était pas le but. Bien sûr, les sommes annoncées troublaient les gens, mais il y a un ou deux spéculateurs qui se sont ruinés et ça ne m'a pas fait de peine. En 1990, le club a dû faire un peu de police parce que des marchands venaient. Au club Ferrari, pas de commerce ! Il a fallu mettre le holà, avec un système de parrainage. À cette époque, rouler en Ferrari était gratuit ; une auto neuve se revendait deux ans après, pour le même prix."
SA : Regrettez-vous de ne plus courir ?
"Non, il y a trop de course à l'armement. Regardez le challenge Modena : ils ont les motor-homes de la F1 il y a quelques années ! Et pour les anciennes, quel intérêt de changer le métal des disques ou de préparer le moteur avec les techniques d'aujourd'hui ? Une voiture doit courir comme elle était à l'époque. Maintenant, les voitures arrivent sur des camions. Ma 250 GT n'est jamais montée sur une remorque. J'allais à Montlhéry, à Rome, à Modène, au Nürburgring, je prenais la route et voilà. Je faisais même souvent la course avec les bagages dans la voiture. Les bagages qui étaient des sacs poubelle : c'est ce qui convenait le mieux. Parce que les gaz d'échappement revenaient par derrière et mettaient de l'huile partout. Dans les hôtels, les sacs-poubelle, c'était très chic !"
Propos recueillis en 2005 pour Sport Auto par Robert Puyal
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